lundi 14 mai 2012

Les croqueuses de touristes


Sapa, Vietnam

La montée est lente et pénible. À chaque courbe en « U » (c’est-à-dire tout le temps) le train grince péniblement et nous balance de gauche à droite. Dans notre compartiment, nous nous sentons comme 4 bestiaux dans un congélateur : l’air climatisé est « dans le tapis » et pas moyen de le régler. Nous finissons par atteindre Lao Cai à l’aube, complètement abrutis par cette nuit sans sommeil. Dans le minivan qui nous amène vers le village de Sapa, nous nous éveillons tranquillement à la vue des rizières en terrasse qui s’étagent sur les montagnes dans la brume matinale.

À notre arrivée à Sapa, nous achevons de se réveiller complètement alors qu’une quinzaine de petites femmes, tout de noir vêtu, se mettent littéralement à crier et à courir derrière le minivan comme si leur vie en dépendait. Abasourdis, nous envisageons de rester cachés dans le véhicule jusqu’à ce qu’elles se dispersent. Mais c’était bien mal connaître les femmes Hmong (une ethnie minoritaire vivant dans les montagnes du nord du Vietnam) qui pratiquent une version extrême de vente. Reconnues pour leur artisanat impliquant, entre autre, broderie, teinture et travail de l’argent, elles gagnent leur vie en vendant leur attirail aux touristes qui visitent le village de Sapa. Le problème est qu’elles forment une quantité incroyable de vendeuses qui proposent exactement les mêmes produits. Elles ont donc développé une technique infaillible pour vendre leurs créations. Si vous envisagiez vous convertir et aller vendre les fruits de votre travail dans le nord du Vietnam, nous partageons ici la technique des femmes Hmong. Vous allez voir, ça marche à tout coup… ou presque.

Étape 1 : le charme
Il faut être à l’affut. Lorsque le bus transportant des touristes arrive, il faut courir avec la vivacité d’un félin pour les atteindre avant votre voisine (ici tous les coups sont permis, poussez-la un peu s’il le faut. De toute façon, votre artisanat est bien meilleur que le sien). Devant le touriste qui sort péniblement du bus, usez de votre charme. Souriez, faites quelques blagues, intéressez-vous à lui, apprenez son nom, baragouinez quelques mots dans sa langue.

Étape 2 : Marquez votre territoire
Les chances que votre touriste achète dès le matin sont faibles. Lorsqu’il se retire vers sa chambre, n’oubliez surtout pas de lui remettre un de vos bracelets en cadeau pour bien faire savoir aux compétitrices que c’est le « vôtre ». 

Étape 3 : L’attente
Usez de patience et installez-vous devant la guest house pour attendre votre proie. Profitez du temps libre pour peaufiner vos ouvrages. Votre touriste en ressortira assurément reposé prêt pour l’assaut final.

Étape 4 : L’assaut final
Lorsque votre touriste sort, poursuivez-le sans relâche à travers le village en lui demandant d’acheter votre matériel. Ne prenez surtout pas en compte son refus : persistez et argumentez jusqu’à ce que, épuisé, il cède dans le seul objectif de se débarrasser de vous. Tentez votre chance, ça marche presque à tous les coups.

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Malgré cet acharnement, les femmes Hmong donnent plutôt l’impression de jouer à un grand jeu à les voir sourire et rigoler entre elles lorsqu’elles prennent d’assaut les minivans et les groupes de touristes fraîchement débarqué. Elles sont d’ailleurs impressionnantes dans leur débrouillardise. La plupart d’entre elles ne sont pas allées à l’école, ont été victime de répression du gouvernement communiste vietnamien et vivent avec presque rien. Malgré tout, elles parlent l’anglais et souvent le français (on en a même vue qui parlait le japonais et le coréen !) pour mieux vendre leurs produits. Toutefois, ces femmes éveillent des sentiments contradictoires en nous : nous sommes curieux et effrayés à la fois. Tristement,  sachant que nous serons pris en chasse si nous osons répondre à leurs questions (Hellloooo! How are yooooou? Where you frrrooom ? What’s your naaaame ? Buy from meeee ?), nous les ignorons. D’ailleurs,  c’est une situation qui nous pèse depuis le début du voyage (parce qu’on l’a vécu partout) : il est souvent difficile d’entrer en contact avec les locaux autrement que pour une transaction. D’une part, nous ne parlons pas leur langue, d’autre part, beaucoup voient les touristes comme des portefeuilles sur pattes. Trop souvent, une conversation qui semblait anodine se termine en tentative de vente. Malgré tout, nous continuons de rencontrer des gens merveilleux qui nous questionnent avec une authentique curiosité et qui partagent avec nous sans arrière-pensée. Nous réalisons aussi que, à défaut d’apprendre la langue, lorsque nous passons plus de temps dans un endroit les gens sont plus enclins à converser avec nous. Alors nous testons cette nouvelle technique.

Trève de philosophie, maintenant vous vous demandez : Ouin mais pourquoi vous êtes allés à Sapa? Pour les paysages de montagne (les Français avait surnommé la région les alpes tonkinoises), les terrasses de riz façonnées à même les flancs de montagne et pour rencontrer les populations minoritaires (oui, oui, nos amies les Hmongs….). En fait, nous voulions voir une autre facette du Vietnam. Mais bon, on ne se fait pas d’illusions, nous n’avons pas rencontré « les gens ». Ils ont bien d’autres choses à faire que de jouer au Hmong authentique pour les touristes curieux qui jouent à l’explorateur chez les minorités ethniques. Néanmoins, cela ne nous a pas empêché d’apprécier les différences culturelles et la beauté des paysages de cette région.

Le village de Sapa

Touriste fatiguée

Terrasses de riz près de Cat Cat



Enfants Hmong


Touriste dans la trappe

Jardin d'orchidées (malheureusement pas en fleur...)



Phil dans sa cachette secrète

I wear my sunglasses in the fog 

Cette journée-là, ma mère a fêté ses 53 ans. Je sais. Difficile à croire. 



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