lundi 9 janvier 2012

Le Never Never


Nous sommes partis de Young un dimanche matin avec l’intention de se rendre 700km plus loin à Menindee, en plein cœur du outback australien, afin de commencer un nouvel emploi le lendemain même. En apprenant où l’on s’en allait, nos amis australiens se sont exclamés :

-          You guys are going in the Never Never !!!
-          Hum... Quel surnom sympathique. C’est surement un endroit charmant...

Et nous pensions que ce serait simple… Les premiers 400 kilomètres se sont déroulés sans embrouilles et nous avons atteint Hillston juste à temps pour le lunch. Tout au long de la route, nous avons vu le paysage changer du tout au tout. Les eucalyptus se sont faits de plus en plus rares et les arbustes ont commencé à envahir le paysage. Bientôt, on ne voyait qu’une étendue plate d’arbustes secs sur la terre rouge et l’on croisait une voiture à l’heure. Le temps se faisait menaçant lorsque nous nous sommes engagés sur notre première route de terre. Nous n’avons pas réagi lorsque nous avons vu le panneau gigantesque qui nous annonçait ceci : DRY WEATHER ROAD ONLY. Erreur de débutants.

Quelques minutes plus tard, c’est une pluie torrentielle qui s’est déclenchée remplissant les sillons laissés par les camions qui empruntent fréquemment cette route. En roulant à 40km, on déclenchait des vagues d’eau rouge qui venait ensevelir la voiture, nous bloquant la vue pendant quelques secondes. On commençait à considérer l’option de rebrousser chemin lorsqu’on l’a vu approcher à l’horizon : le road train. Un road train est un camion semi-remorque qui tire plus de 2 remorques. C’est immense. Et dangereux même en route asphaltée en temps sec. Notre road train arrivait à toute vitesse, créant de véritables tsunamis à ses flancs. Dans un moment de panique, on s’est tassé le plus possible en faisant des appels de phare en espérant provoquer un minimum d’empathie de la part de ce monstre d’acier. Nous avons évité l’ensevelissement de peu et nous avons regardé le road train s’éloigner, ses remorques ondulant dangereusement de gauche à droite. Il est dangereux pour eux de ralentir subitement de la sorte et nous avons compris que tous ne le ferait pas.

Nous avons donc décidé d’essayer un autre chemin. En s’engageant sur cette route, nous avons été accueillis par le même panneau : dry weather road only. Cette fois, nous avons rebroussé chemin immédiatement. Au moment où les roues ont touché l’accotement que l’on croyait ferme, la voiture a glissé et s’est retrouvée en deux temps trois mouvements au fond du fossé. CRAP! Pendant une heure, Phil nu pied (ses sandales ont immédiatement brisée lorsqu’il s’est enfoncé le pied en sortant de la voiture. Super.) dans la bouette rouge a mis ses talents de scout à l’épreuve. Récoltant les rares branches disponibles dans ce désert, on a essayé de créer une surface solide pour dégager la voiture : peine perdue. Heureusement, un inconnu envoyé du ciel est passé et nous a sorti de ce bourbier (littéralement) à l’aide de son pick up.  

-          Phil. Je pense que l’univers essaie de nous envoyer un message
-          Tu penses pas que t’exagère un peu là ?
-          Non. Je te dis. L’univers ne veut pas qu’on aille à Menindee!

Sur ce, on est revenus sur nos pas pour faire un immense détour pour éviter le plus possible les routes de terre. On a dû dormir en chemin. Le lendemain, le soleil resplendissant nous a fait oublier nos aventures de la veille. Sur la route on croisait des émeus, des kangourous, des renards, des lapins, des lézards mais pas de voitures. C’était l’image typique du désert rouge australien.  À 150 km de Menindee, un bruit soudain sous notre voiture nous a forcé à s’arrêter pour constater que la ligne d’échappement venait de se séparer en deux et trainait maintenant par terre.

-          *&?*?&*? DORIS ! T’aurais pas pu choisir un pire moment !!!

On regarde autour de nous : 2 émeus qui relaxent. Sinon… rien. L’infini rouge.  Phil a encore une fois sorti ses talents de scout (c’est ce qu’on dit. non? toujours prêts ! Scout un jour, scout toujours!). Il a sorti les deux matériaux essentiels pour un scout : une branche d’arbre et de la corde et a rafistolé le tout. C’est à ce moment que Noémie a juré de ne plus jamais rire du fait que Phil a été dans les scouts (c’est une grande promesse qui demandera beaucoup d’efforts). Nous nous sommes finalement rendus à Menindee de peine et de misère en mettant 4 heures pour parcourir le dernier 150km.

En arrivant, une pancarte nous annonce ceci :
Menindee 
Population : 981
Élévation : 70m

Devant nous : quelques maisons, quelques commerces barricadés, des veilles voitures rouillées laissées à l’abandon, le vent souffle un peu de poussière et une boule de foin traverse la rue.

Ouf… le temps va être long.

On s’arrête au bar question d’appeler notre nouveau boss pour qu’il vienne nous chercher. Le barman nous accueille avec un grand sourire. HORREUR. Il N’A PAS DE DENT !!!!

-          G’day mates. What can I do for you
-          ...

Dans nos têtes, ça résonne sans cesse : pas de dents, pas de dents, pas de dents !!!

-          ?
On se resaisis :
-          Hum… euh… Qu’est-ce qu’on voulait ? Ah oui : on peut vous emprunter votre téléphone le temps d’un appel ?
-          Hum… Désolé. On n’a pas de téléphone.

On est sorti ahuris. Pas de téléphone. ET PAS DE DENTS ! Mais où on vient d’atterrir ! On fini par rejoindre le boss qui nous amène à la ferme. En plein milieu du désert se dressent des vignes à perte de vue. Petite touche de vert dans le rouge infini. Devant le vignoble un tas de tôle : c’est là qu’on va habiter.

Ouf… le temps va être long.

On découvre un peu l’endroit : pas d’eau chaude, pas de lumière, pas d’eau potable dans la cuisine et la salle de bain, des fourmis envahissent la cuisine, les araignées et la poussière envahissent notre chambre et les champignons envahissent les douches.

Un endroit charmant pour 20$ la nuit.

Et puis le lendemain, on découvre le travail. Un seul mot d’ordre : cueillir toujours plus, toujours plus vite. Et c’est là qu’on réalise qu’il n’y a aucun Australien qui travaille avec nous : c’est toujours mauvais signe quand aucun Australien ne veut travailler là où tu travailles. Deuxième mauvais signe : 150 Asiatiques travaillent avec nous.

On a souvent entendu parler de la façon dont les Asiatiques sont traités dans certaines fermes par des gens malhonnêtes. Beaucoup parlent peu anglais et ne connaissant pas leurs droits, beaucoup acceptent de travailler dans de mauvaises conditions pour un mauvais salaire.

0 Australiens + 150 Asiatiques = Sacre ton camp au plus vite

On a quand même attendu une semaine avant de quitter Menindee pour de bon. Assez pour y passer un Noël tristounet. C’est quand on a vu notre paye qu’on a compris à quel point on se faisait arnaquer. On a donc pris nos clics et nos clacs et on est partis en criant un peu. Après avoir parcouru tant de km  parsemés d’embuches pour aboutir au milieu de nulle part pour repartir après si peu de temps, on avait le cœur au bord des lèvres. Mais plus on prenait de la distance avec ce bled de malheurs, plus on se sentait bien d’avoir quitté.

En chemin on s’est ressourcé dans un petit café très charmant avec une déco qui contrastait avec le décor typique du fin fond de l’Australie. Et un excellent hamburger (dans lequel il y avait des betteraves. On a immédiatement adopté l’idée) nous a fait oublié notre mauvaise aventure. La vie était belle. On s’apprêtait à repartir en finissant notre conversation avec le tenancier qui nous a affirmés que son café est non seulement agréable par son aménagement et sa vue sur la rivière, mais également parce qu’il n’y a pas de gens de couleurs (et merde, y’a tout gâché). Il faut croire qu’on doit faire encore plus de km pour repartir à zéro.

-          Noémie?
-          Quoi?
-          T’avais raison.
-          Je sais… Non sérieusement, raison de quoi?
-          L’univers nous passait clairement un message.

Des Kangourous qui font des activités de kangourous devant chez nous
  
Un lezard IMMENSE !

Des émeus qui font des activités d'émeus

La route

La vue de notre fenêtre : les supports à vigne


Vignes infinis

Les raisins de la colère

Le magasin général (ben oui, y'ont ça!)

L'autre magasin général

Noël dans les eucalyptus

Le lac Menindee

jeudi 5 janvier 2012

Le plan, phase 2 : Young

Ce n’est pas qu’on y tenait tant que ça (on s’habitue drôlement vite à la vie sans travailler…)   mais notre compte de banque nous sommait de trouver un travail et ce rapidement. Pendant notre séjour à Sydney, on épluchait quotidiennement les annonces sur internet afin de trouver un boulot dans la cueillette de fruit mais sans succès. Ici plusieurs se demanderont pourquoi on souhaitait si ardemment trouver un emploi sur une ferme pour se lever à l’aube et travailler dans la chaleur extrême plus de 10 heures par jour et ce 7 jours sur 7.
a)      Il est facile de trouver du boulot
b)      Il n’est pas nécessaire d’avoir des qualifications
c)       Le logement est généralement gratuit
d)       Le fait de se retrouver en plein milieu de nulle part limite les dépenses.
e)      C’est un emploi sans attache

Le problème : on n’était pas les seuls à avoir eu la même idée. Chaque annonce à laquelle on répondait avait déjà comblé les postes affichés. On a alors décidé de prendre le taureau par les cornes : on a sorti le calendrier des récoltes et on a choisi un endroit. Le lendemain matin on partait vers Young, la capitale australienne des cerises, dans l’espoir de trouver un emploi sur un verger une fois sur place. Hé oui, les cerises. On n’est pas encore sortis de notre phase hippie du CÉGEP du Vieux-Montréal. Notre plan : aller faire des yeux piteux directement chez le producteur. On s’est préalablement pratiqué devant le miroir : notre plan est infaillible, nous sommes irrésistibles.
Des belles cerises geantes nous ont accueilli a l'entree de la ville !

Ainsi qu'un slogan tres inspire (serieusement, ils auraient pu faire mieux haha)

Notre plan comportait toutefois une faille : le calendrier des récoltes nous avait induits en erreur… Quel ne fut pas notre désespoir quand, une fois arrivés sur place, les fermiers nous ont renvoyés en nous disant qu’on était ben cutes mais les cerises ne seront pas prêtes avant un bon mois. UN BON MOIS !!! On déprimait en voyant les cerises toujours vertes et minuscules dans les arbres et en discutant avec Pete, l’homme de main du camping ou on restait :

-          Yous (oui, ils disent yous au lieu de you) are French Canadian aren’t you ?
-          Oui! (tout surpris d’avoir été identifiés si vite)
-           Je pourrais reconnaître des Canadiens Français à des kilomètres…
-          Ok… (pas sûrs qu’on aime son ton)
-           Vous n’avez pas bonne réputation ici. Vous ne trouverez pas de travail, c’est certain.

Sans vouloir généraliser, à plusieurs reprises nous avons été confrontés à ce genre de situation en Australie. Souvent, on nous dit :
-          Nous on n’engage pas de Français. Les Français sont paresseux et ils veulent tout, tout de suite.
-          Les Américains sont grandes gueules
-          Et les Coréens ne savent pas conduire
-          Les Allemands prennent trop de place
-          Et les Québécois travaillent trop vite et mal.

Tous ces préjugés sont basés sur des études très scientifiques conduites sur des grands groupes, bien sûr…

On allait donc partir tenter notre chance ailleurs quand on a enfin trouvé un boulot dans une petite ferme familiale. La famille Martins comprend trois générations de fermiers. Depuis plus de 60 ans ils cultivent les pêches, nectarine, prunes et cerises. Ils nous ont donc installés dans une caravane des années 60 sur leur terrain qui deviendrait notre maison de gypsies pour les 2 prochains mois. Avec nous, un Allemand, un Italien, quatre Australiens et quatre Français. Pas pratique quand on veut apprendre l’anglais mais que 50% des employé sont francophones hihi! Mais quelle joie de partager notre vie avec un si beau groupe!  
Petit decor champetre...


Fermier et barbecue kings de peres en fils

Notre caravane de gypsies

On a commencé par faire du «thinning» sur les pêches et les nectarines. Cela consistait à enlever le trop-plein de fruits sur les branches afin de réduire le poids et leur permettre d’atteindre une croissance maximale. Bref, on arrachait des fruits pour les laisser tomber au sol. Toute. La. Journée. Légèrement aliénant mais avec de la musique ça passe bien. Surtout quand on sait que le salaire horaire pour ce genre d’emploi en Australie est de 19$ de l’heure. Ça aide à faire passer la pilule hihi!
Les peches seront bientot mures. Miam.

Mais c’est quand les cerises ont fini par murir que le fun a commencé…

Pour les cerises, on était payé à la production, en travaillant sous un constant challenge, le temps passait à toute vitesse. On remplissait lug après lug en tentant d’augmenter notre cadence et en se faisant compétition :

-          Mon bucket est plein… Toi ? (air baveux)
-          Pas encore tout à fait.
-          Ah… ( sourire)

Et en bonus, on se gavait de cerises. Pour des raisons professionnelles, bien sûr, question que les consommateurs ne s’empoissonnent pas. On prenait ça à cœur, notre emploi. Certains matins, on souffrait quand le cadran sonnait à  4h30 mais on avait la chance d’observer des levers de soleil spectaculaires (à défaut de voir les couchers soleil puisqu’on se couchait si tôt !) et parfois des kangourous dans les champs. Ce qui provoquait inévitablement une réaction d’hystérie chez Noémie :

-          HIIIIIIIIIIIII !!! REGAAAAARDE!!! UN KANGOUROOOOOOOOUS !!!!
Petit matin dans le verger

5h30, on est prets. Il faudra cueillir tous ces arbres. 
Grape de cerise

Phil, concentre a battre le record de Noemie

Cueille, cueille, cueille

Cerises quelqu'un ?

Un lug de plus !

Quelques jours par semaine, on devait empaqueter les cerises pour les envoyer au marché. Ces journées-là, on revenait 50 ans en arrière et c’était les hommes au champ et les femmes en dedans. Selon des études très scientifiques encore une fois, il semble que seules les femmes puissent trier les cerises. Pendant ces journées, Noémie s’installait le long d’un convoyeur avec les autres collègues féminins et triait les cerises qui passaient devant elle. C’était comme dans Les Temps Modernes de Charlie Chaplin. Toujours. Le. Même. Geste.
Brasse les cerises, prend la cerise, jette-la dans le trou.
Brasse les cerises, prend la cerise, jette-la dans le trou.
Brasse les cerises, prend la cerise, jette-la dans le trou.
Etc.
Trier les cerises. 

Après 2 mois, on s’est beaucoup attaché au groupe, à la famille et à notre petite vie dans notre caravane de gypsies à Young. Il faut dire qu’en 4 mois, c’était la première fois qu’on s’arrêtait plus d’une semaine à un endroit. On était vulnérables. Mais on a fini par cueillir la dernière cerise et le temps est venu de partir. Nous avons trouvé un bon plan : cueillir les raisins de tables à Menindee, en plein cœur du outback australien

 Après maintes et maintes recommandations de la part de la famille Martins sur la façon de se protéger de la chaleur et du soleil et après avoir promis que l’on appellerait en arrivant, on s’est remis sur la route. En croisant un kangourou à l’aube sur le chemin, on a soupiré de bonheur. C’est bon de repartir à l’aventure.
Et ici, on en croise vraiment... Pas comme les cerfs ;)
Ok on est ketaines mais y a-t'il quelque chose de plus Australien qu'un coucher de soleil orange sur les eucalyptus ?

Mon ami le chien qui dort.

Phil, fermier en devenir.

La bande (en partie)