vendredi 15 juin 2012

Focus


Bromo, Indonésie

Après une semaine en  Indonésie, nous avons cessé de compte les nombreux volcans que l’on croise sur notre chemin. Le plus merveilleux, c’est  que ce sont souvent des cônes parfaits avec un peu de fumée qui s’en échappe. De quoi faire rêver l’enfant en nous. Après Yogyakarta, nous étions donc prêts à  faire les aventuriers et à aller en voir un de plus près. Nous avons donc mis le cap sur Bromo, un volcan situé à  l’est de  l’île de Java.

Bromo s’élève à une altitude de 2329 mètres. Le village qui le borde est également à une altitude élevée et notre premier choc en arrivant ce soir-là a été le froid : dehors, il faisait 4°C. On a donc enfilé tout ce qu’on avait de vêtements en pelures d’oignons et on s’est collé pour dormir. Le lendemain matin, nous nous sommes levés avant l’aube pour attraper le lever du  soleil sur le volcan à partir d’un point de vue situé plus haut dans la montagne. Après 45 minutes de marche à côté d’un monsieur qui voulait absolument nous amener  à cheval, nous avons atteint  une plate-forme où nous nous sommes installés pour  attendre le lever du soleil. La vue était très impressionnante. De là où nous étions, nous surplombions le volcan et la plaine qui l’entoure et nous avions  en plus une vue  imprenable sur le Seneru, un autre volcan en activité de la région. La fumée qui s’échappait des 2 volcans contribuait à rendre l’image encore plus frappante. C’est l’Indonésie : à tout moment un tremblement de terre, un tsunami, un glissement de terrain ou une éruption volcanique peut vous surprendre. En redescendant, le soleil  a achevé de se lever et nous nous régalions à la vue des cultures d’oignons, d’échalotes, de maïs,  etc. qui forment une espèce de courtepointe  dans la montagne.


Le  soleil  se lève tranquillement.  Au  deuxieme plan,  Bromo  et  au troisième plan, Seneru.


Seneru  qui  fume un  peu








Après le petit déjeuner, nous avons mis le cap sur le parc de Bromo  pour  voir le volcan de plus près. Ici, il faut qu’on mentionne que la plupart des gens visitent Bromo sous  la formule  « tour semi-organisé ». Le tour opérateur s’occupe du transport de Yogyakarta à Bromo et vous  dépose à un hôtel le soir. Le lendemain matin, vous  pouvez aller voir le lever du soleil sur Bromo, puis à 8h-9h,  le bus vous  ramasse pour  vous  amener à  votre prochaine destination. Nous on trouvait  que c’était  vraiment expéditif comme  façon de faire et comme  on voulait aller  marcher dans le  parc national, on a décidé  d’être un peu à contre-courant et de rester une nuit de plus. Lorsque nous  sommes arrivés devant le volcan,  nous avons pu constater que nous étions les seuls touristes dans le parc. Avoir  un volcan pour nous tout  seuls, ça n’arrive pas tous les jours!  On se sentait comme de vrais explorateurs et nous nous félicitions de notre décision  de rester une journée  de plus.  Avant de commencer  à monter vers le cratère, nous avons refusé d’acheter les fleurs que des vendeurs  tentaient de nous vendre avec insistance :

-          For the Bromo god.  It’s good for your luck!
-          No, thank you (probablement la phrase qu’on a dit le plus  souvent dans la dernière année)
Nous  ne  sommes pas particulièrement superstitieux mais quand,  quelques  heures  plus tard,  la  situation  a  tourné  au vinaigre, nous n’avons pu nous empêcher de penser qu’on aurait  dû   acheter ces offrandes.

Nous avons  vite grimpé vers le cratère du volcan où  la vue sur l’intérieur de Bromo nous a coupé le souffle : la fumée s’élevait du trou et nous pouvions même entendre un son de bouillonnement, signe que ce volcan est définitivement en activité. Avant de partir, nous avions demandé s’il était possible de faire le tour du cratère à pied. On nous  a certifié que c’était le cas. Nous avons donc entamé la marche d’environ 3km sur la crête du volcan. La journée était magnifique, la vue exceptionnelle et nous étions totalement seuls. Nous nous sommes fait remarquer que c’était là un vraiment beau moment du  voyage. Sur la première moitié, le sentier était large et les pentes extérieure et intérieure du volcan plutôt douces. Nous avons rapidement marché la première moitié et comme il était encore tôt, nous avons décidé de suivre un sentier qui menait vers un deuxième cratère (éteint celui-ci) situé juste derrière Bromo. Les deux cratères sont collés ce qui fait que l’on peut marcher de l’un à l’autre sans avoir à redescendre. Après un moment, nous avons remarqué que nous avions grandement sous-estimé le temps  de marche et avons décidé de rebrousser chemin afin de finir le tour de Bromo. Nous progressions vite et rapidement nous  nous sommes retrouvés au point le plus haut où se trouve  un petit autel pour le Dieu Bromo. La vue sur le parc était incroyable dans la lumière de fin de journée. On se  félicitait pour notre timing, la lumière du  coucher du soleil nous offrait un superbe spectacle et devant nous, 500-800 mètres à  parcourir en pente descendante. Facile, quoi !

La  plaine  au  pied  du  Bromo


Les  vendeurs de fleurs

Les escaliers pour monter vers le cratère

Le fameux cratère fumant de Bromo



Phil  sur la crête







Quelques mètres plus loin, le sentier se faisait de plus en plus étroit et les pentes intérieure et extérieure de plus en plus prononcées jusqu’à ce que le sentier soit si étroit qu’on ne puisse y mettre que la largeur d’un pied. Nous nous sommes dit que c’était probablement seulement sur quelques mètres. Certainement, ce serait moins pire devant… Et puis non, c’était de pire en pire. Défoncé, le sentier devenait impraticable à certains  endroits et nous devions user d’astuces pour continuer à  progresser : parfois nous étions à quatre pattes,  parfois nous descendions sur la pente extérieure en prenant appui sur l’arrête avec nos mains. À chaque tournant, nous espérions que le chemin se rétablirait mais il devenait de pire en pire. Nous  avons regardé autour de nous : nous  étions encore seuls. Cette solitude qui nous avait semblé un cadeau du ciel plus tôt nous  semblait bien lourde maintenant. Calmement, nous  avons considéré nos options :
1-      Rebrousser chemin : Nous avons vite écarté cette possibilité. Nous avions devant nous environ 30 minutes de lumière. Revenir sur nos pas demanderait une bonne heure.
2-      Continuer et finir le tour : Nous nous entendions tous les deux pour dire que cette solution nous semblait folle. Le chemin était défoncé et dangereux et nous étions seuls. Ni l’un ni l’autre n’avait envie de faire un plongeon dans le cratère.
3-      Descendre la pente extérieure du volcan pour atteindre le lit d’une rivière asséchée que nous pourrions suivre jusqu’au pied du volcan.  Nous avions remarqué ce lit de rivière avant de commencer à monter. Nous savions qu’il nous amènerait où nous voulions. Nous avions 2 craintes, toutefois : la pente était assez prononcée et le pied du volcan sur cette face formait plusieurs crêtes et nous n’étions de pas sûr que le chemin serait praticable. Cela nous semblait quand même l’option la moins dangereuse et nous avons décidé de  nous  lancer.

Phil a commencé à descendre tranquillement en testant le terrain. Rapidement nous avons atteint la rivière et nous soupirions de soulagement. Le soleil  était déjà très bas, le ciel était rose et orange. C’était probablement un très beau coucher de soleil mais nous  étions trop concentrés à suivre la rivière asséchée  pour le voir. Tout allait assez rondement jusqu’à ce que devant nous le lit de la rivière plonge d’environ 10 mètres d’un coup. Nous regardons autour de nous : la rivière est profondément encaissée et les côtés sont deux parois verticales d’environ 10 mètres aussi. Il n’y a aucune issue. Nous devons rebrousser chemin et essayer une autre alternative.

À ce moment, nous avions encore 10 minutes de lumière. En essayant de contrôler la panique qui s’emparait de nous, nous avons fait le constat qu’il n’y aurait pas d’issue avant la tombée du jour. Notre situation était alarmante.
-          Phil, est-ce que c’est le moment où il faudrait demander de l’aide ?
-          Je sais pas. Non. Oui. Euh attend…

C’est que l’idée de crier  à l’aide, ça fait  peur. Ça veut dire que c’est grave. C’est aussi d’accepter que nous avions tout essayé et que nous étions impuissants, que seule une aide extérieure pourrait nous sortir de là. Et on a commencé à crier. Sans perdre de temps, nous  avons  examiné  nos options :
1-      Essayer de remonter et de progresser au pied du  volcan dans les  crêtes et canyons : Nous observions autour de nous et nous avons vite éliminé cette option.  Si nous ne pouvions pas suivre le lit de la rivière, il était impossible de marcher dans ce type de terrain.
2-      Remonter et suivre la crête : C’était  fou quand il faisait  clair, ce l’était encore plus dans le noir.
3-      Remonter et revenir sur nos pas : dans le noir,  nous en aurions eu pour des heures.
4-      Se faire un  abri pour la nuit et attendre le lendemain  pour reprendre la marche : les nuits à Bromo sont froides, nous nous  souvenions  des 4°C de la veille. Si nous nous arrêtions, nous courions le risque d’hypothermie.
5-      Nous ne voyions qu’une possibilité : Remonter, mais pas jusqu’à  la crête et finir les 500 mètres qui nous restaient. Nous pourrions progresser au centre, entre le  pied et la crête du  volcan.

Un bref inventaire de notre sac à dos nous a permis de constater que nous  avions chacun un chandail à manche longue, quelques biscuits et, ALLÉLUIA, la lampe frontale.  Tout en continuant de crier à l’aide, on s’est tout de suite mis en marche. Nous avons atteint une  hauteur acceptable et pas à pas, nous avons commencé à avancer vers notre but. Il faisait maintenant complètement nuit. Phil avec la lampe frontale ouvrait  la marche en  choisissant les appuis  pour  les pieds avec précaution. Puis,  il se tournait vers moi pour que je puisse voir où je mettais les pieds à mon tour. C’était fou. La pente était si forte que nous progressions debout, nous avions difficilement pied et glissions  souvent et nous devions se retenir à  la  force de nos bras, comme on le pouvait. Nous étions  hauts  mais  il n’y avait plus  de place pour  le vertige.  Nous avions le corps  en  compote mais  il  n’y avait  plus de place pour la fatigue, ni la  faiblesse. L’adrénaline s’est emparée de nous et nous progressions dans un silence qui n’était troublé que par  les cris à  l’aide poussés à  intervalle  régulier. 

FOCUS. 
C’était le  mot d’ordre. Un moment d’inattention pourrait  s’avérer fatal. 

Puis il est devenu impossible de continuer à avancer.  La pente était presque verticale. C’était trop dangereux. Nous  avons décidé de remonter sur le cratère bien malgré nous. Comme c’était extrêmement étroit, nous nous sommes installés à califourchon sur la crête et avons commencé à avancer comme on le pouvait. Et c’est là qu’on les a vus. 6 faisceaux de lampes de poche qui se dirigeaient vers nous. Nous aurions pleuré de joie. C’était les vendeurs de fleurs. Ceux à qui  nous avions dit « no, thank you » plus tôt. Ils vivent au pied du volcan et ayant entendu nos cris, ils sont venus nous aider. Ayant vécu toute leur vie ici, ce sont de vraies chèvres de montagne. Chaussés de bottes d’eau, ils marchaient en funambule sur la crête sans trop regarder où ils posaient les pieds, comme s’il n’y avait pas un précipice qui plonge dans un cratère bouillonnant juste à côté. Avec leur aide nous avons vite atteint l’escalier et nous avons pu redescendre le volcan. Ils nous ont raccompagné jusqu’à la route qui menait jusqu’au village et sont repartis vers la base du volcan après avoir refusé qu’on les remercie de quelque façon que ce soit.

En marchant vers le village, nous étions complètement sonnés. Nous avions du mal à  croire ce qui venait de nous arriver. Nous  étions couverts de terre de la tête au pied. Les gens qui discutaient tranquillement devant les maisons dans le village se taisaient pour nous regarder passer.  Nous  faisions peur.

Douche, bouffe et dodo. C’est tout ce qu’on a trouvé l’énergie de faire. Nous étions épuisés. Malgré tout, nous ne pouvions cesser de penser aux vendeurs de fleurs qui ont pris le risque  de monter sur le cratère dans le noir pour nous aider. Nous étions tellement reconnaissants. Nous voulions absolument les remercier.

Le lendemain matin, nous nous sommes levés avec le soleil et avons traîné nos 2 corps endoloris jusqu’au pied du volcan à nouveau.  Cette fois, il grouillait de vie. Il y a avait des touristes partout venus pour  admirer le cratère.  Nous avions envie de mettre tout le monde en garde mais, heureusement, tout le monde est pressé. Personne ne pense à entamer la marche autour du cratère. Mais nous n’étions pas là pour ça. Des yeux, nous cherchions nos vendeurs de fleurs. Un par un, nous les avons trouvé dans la foule. Et nous avons achetées toutes leurs fleurs. Pour une deuxième fois, nous avons monté l’escalier qui mène vers le cratère mais cette fois pour y jeter 25 bouquets de fleurs. Il paraît  que c’est bon pour la chance. On ne peut pas cracher là-dessus…

La crête entre  les deux cratére. A gauche, le cratère eteint. A droite, le cratère de Bromo.


Arrivé en haut au début du coucher du soleil encore bien loin de me douter de ce qui nous attend.

Près de l'autel  au point le plus haut.

Le terrain au pied du volcan. C'est là-dedant que la  rivière passait.

Au moment ou le chemin a  commencé à devenir étroit. Après on a rangé la caméra. 

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