jeudi 27 octobre 2011

Le mythe de Sisyphe


Srinagar  (Kashmir)

Avez-vous déjà entendu parler de la réputation des Kashmiris ? En Inde et au Népal, ils sont reconnus comme étant de féroces négociateurs. Ils t’harcèlent jusqu’à ce que tu cèdes. Et tous les moyens sont bons pour arriver à leurs fins. Avant de rentrer dans un magasin au Kashmir ou un magasin tenu par un Kashmiri, il faut se préparer au combat : tu inspectes ton pouls, tu t’assures que t’es pas trop fatigué, tu fais des réchauffements, des exercices de respiration, etc. On n’est jamais trop prudent.

En arrivant à Srinagar, dès qu’on a mis les pieds à l’extérieur de l’aéroport, on se fait immédiatement cibler  (et ici on parle d’un quart de seconde, ils sont biens entraînés. Mieux que nous c’est sûr… Le combat est déjà injuste).

-          Hello my friend. Going for houseboat ? Come see mine. Just see, you don’t have to stay. Come my friend, I take you there

Phil et moi on hésite. Le gars est intense et il ne nous inspire pas confiance. Par contre, on n’a pas de plans et pourquoi pas visiter son houseboat ? Au pire, on s’en va (On était jeunes et naifs).
Au même moment, un monsieur arrive habillé en uniforme officiel vient nous voir :  

-          Hi, I’m from the tourist police (!?!?!). You should go with that guy. Good houseboat. Good owner.
Ça y est, on n’a définitivement plus confiance du tout mais on est trappés à l’aéroport. On commence le combat déjà accotés au mur. Ça s’annonce mal. Notre stratégie : on va voir le houseboat pour se débarrasser du gars qui est déjà en train de nous pousser dans un taxi avec un air de forcené et on se sauve dès qu’on peut !

On visite son houseboat qui finalement n’est pas si mal. On lui demande le prix. Il tergiverse.

-          First you drink tea, then we talk price.

Il crie à quelqu’un de nous faire de thé, et la conversation est en stand by. Plus question de parler tant que le thé n’est pas la. Ça y est, on est effrayés. Qu’est-ce qu’il met dans son thé ? Le thé arrive, il nous dit le prix, on s’étouffe dans notre thé. Il charge 2500 roupies, notre budget nous en permet 800. Même en négociant, c’est impossible.

-          Écoute, ta place est vraiment belle, mais on n’a pas les moyens de se payer ça. Merci pour ton temps mais maintenant on va partir.
-          Ma place est de qualité, c’est un houseboat super deluxe (je cite ici). C’est le prix.
-          D’accord, on comprend. On va peut-être regarder pour quelque chose moins super deluxe.
-          Non, finis ton thé. On discute. Pour vous, peut-être que je peux faire un petit rabais.

À ce moment-ci, je prends la peine de vous rappeler qu’on est sur un houseboat donc en plein milieu d’un lac. On ne peut pas partir facilement. Il faut héler un bateau et le temps qu’il rame jusqu’à nous, c’est un long processus. Ne s’échappe pas qui veut du houseboat d’un Kashmiris en chasse. Et on est des proies super deluxe comme son bateau.

-          Écoute, même si tu nous fais un rabais, c’est impossible.
-          Tu n’aimes pas mon houseboat ? C’est un bon houseboat.
-          Non non. On aime ton houseboat mais c’est trop super deluxe. On va aller un peu en-dessous.
-          Ok. Pour vous 2300.
-          Non, tu ne comprends pas. Ta place est loin de notre budget. On va partir maintenant.
-          Ok combien ?
-          Écoute, ça ne vaut même pas la peine qu’on perde notre temps à négocier. Notre budget est vraiment trop en-dessous.
-          Combien ?
-          800

À son tour de s’étouffer dans son thé.

-          Quoi ! Mais c’est un houseboat super deluxe !
-          On a compris ça (…) Ça n’a rien à voir avec ton houseboat. C’est juste qu’on n’a pas les moyens. Ok, on part maintenant.
-          Ok 2100 roupies pour vous.
On se regarde découragés… Comment on va faire pour se sortir de cette situation ? On commence à réaliser qu’il faudra être plus fermes. Je hèle un bateau. Il se lève, refait un signe au bateau qui arrête son élan. Je hausse le ton :
-         
É    Écoute, maintenant tu nous laisse partir. On ne veut pas rester dans ton houseboat.
-          Ok mais avant, finissez votre thé.
-          Non. On veut partir
-          Ok 1900 roupies. Dernier prix.

AAAAHHH ! On est en train de devenir fous ! Je hèle frénétiquement le bateau qui est un peu confus entre son envie de faire de l’argent avec nous et sa crainte du propriétaire du bateau. ll se rapproche tranquillement. Je saute presque sur place.

-          Ok 1700 roupies. Good price.

On est sur le quai et on n’écoute plus. On rêve de fuite. Dès que le bateau arrive, on saute quasiment dedans. Alors qu’on s’éloigne, le gars continue de crier :

-          I make you 1500 roupies. You will never find better deeeaaaalll !!!

Fiou, on a eu chaud. On est soulagés de se trouver en sécurité dans un bateau. On commence à observer les autres houseboats. On demande au «chauffeur» de s’arrêter à un endroit qui nous intéresse. Il y a une vieille dame qui nous fait des bye bye sur le quai. Elle a l’air sympathique.

-          Non pas celui-là. Il est plein.
-          Comment-tu sais ?
-          Je suis conducteur de bateau. Je sais ces choses-là.
La dame continue de nous faire des signes. On commence à trouver ça étrange. On lui demande de s’arrêter chez le suivant.
-          Non. Lui aussi est plein.
-          On y va pareil. On veut voir.
-          Non. Je vous amène là (il pointe devant). C’est un bon. Et il a de la place. C’est le seul.

On est en basse saison. La plupart des bateaux sont vides. Il ment. Il nous dépose à son endroit. Le propriétaire, tout sourire accourt nous accueillir. On visite son houseboat qui semble aussi super deluxe.

-          Ok… Combien ?
-          D’abord le thé et ensuite on discute prix.
-          Non combien ?
-          2500 roupies. Good price.
AAAHHHH !

Vous connaissez l’histoire de Sisyphe, dans la mythologie grecque ? Vous savez celui qui est condamné à pousser une grosse pierre en haut d’une montagne immense et à chaque fois qu’il arrive en haut, réapparait en bas ?

Après de (trop) longues minutes où on essaye encore une fois de quitter sans succès, on finit par céder. Ok, on ira pour 1200 roupies. Le propriétaire n’est pas trop content du prix final qu’il obtient (nous non plus d’ailleurs). Il soupire :
-         Bon maintenant je vais avoir des problèmes avec le voisin
-          ?
-          Oui, il m’a appelé quand vous êtes partis de chez lui. Je lui avais promis de ne pas vous faire de meilleur prix que lui.
-          Et le gars du bateau, il savait ?
-          Oui, il travaille pour le voisin.
Le proprio du houseboat avec Phil


Le fameux houseboat «super deluxe»
-         

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire